Depuis ses débuts à l’orée des années 2010, Jean-Baptiste Fastrez souhaite « faire réfléchir à la production d’objets par le biais et la force de la narration ». En 2019, Vivarium, sa précédente collection pour la Galerie kreo, proposait, sur le mode du trompe-l’œil, miroirs et meubles métamorphosés en silhouettes d’animaux sauvages, formant un univers d’inquiétante familiarité.
Pour Space Craft, il conçoit des pièces très dessinées, résolument ergonomiques, porteuses d’une forte dimension narrative. La récurrence des formes rondes et lunaires, le motif de la grille inspirée de la géométrie des panneaux solaires, le profilage dynamique d’une console, la surface organique d’une table d’appoint évoquant la matérialité d’un cratère ou l’épaisseur primordiale d’une galaxie, les clins d’œil astronomiques de titres comme Comet Console, Gemini Stool, Booster Side Table ou Solar Mirror : autant d’aspects qui expriment sa volonté d’offrir une reformulation contemporaine de l’imaginaire spatial. En associant cet univers d’évocation si universel à la mise en valeur du patrimoine vivant et d’artisanats de précision – l’ébénisterie, le ciselage et le bouchardage du verre, la marqueterie de paille –, il s’agit pour Jean-Baptiste Fastrez de concevoir des pièces qui réfléchissent à l’esthétique de notre époque et ses désirs apparemment contradictoires : d’un côté, le retour à l’essentiel et l’envie de s’inscrire dans le temps long ; de l’autre, la relance de la conquête spatiale et le règne de l’innovation. Pour le designer, un objet tel que le panneau solaire incarne ce paradoxe. « Aussi bien présent sur une station spatiale que sur les toits d’un écovillage, explique-t-il, le panneau solaire symbolise autant la croissance et la décroissance, l’accélération et le ralentissement. J’assume sa présence comme un simple motif qui ne produisant plus d’électricité provoque une réflexion sur le contemporain ».
Avec Space Craft, Jean-Baptiste Fastrez actualise les recherches visuelles et formelles propres à la vision de l’espace des années 1960-1970 – lorsque l’horizon extraterrestre rimait avec règne du plastique et société de consommation. « Avec le projet martien et le tourisme spatial, nous sommes aujourd’hui entrés dans un nouvel âge spatial », explique-t-il. « Si les fusées sont de retour, elles décollent d’une planète qui n’est plus du tout la même. » Puisque l’époque a changé, comment élaborer un langage témoignant de ses aspirations et de son imaginaire ?
Une table en verre et métal laqué posée dans la galerie comme un vaisseau prêt à partir en mission. Des miroirs gainés de velours qui rappellent l’intérieur capitonné d’une navette spatiale (spacecraft, en anglais) et ses hublots. Des tables basses réalisées à la main, en laiton gravé et nickelé, ouvrant sur un espace infini. De la marqueterie de paille comme autant de circuits imprimés apposée sur une enfilade envisagée en ovni. Un revêtement en peinture Nextel qui ne réfléchit pas la lumière, identique à celui utilisé à l’intérieur des télescopes. Un miroir aux panneaux articulés qui évoquent aussi bien un toit de panneaux solaires que le motif gothique d’un vitrail – court-circuit représentatif de Space Craft. Mais toutes ces références, tous ces détails ne s’imposent pas, c’est là la grande ouverture de la collection conçue par Jean-Baptiste Fastrez. Ses pièces ne sont pas saturées de signes ni d’effets. Si elles proposent bien une invitation au voyage (spatial), c’est dans l’élégance et la juste proportion, l’équilibre entre innovation et patrimoine, la puissance de leur évidence et la singularité de leur présence.
Clément Dirié