De toute évidence, Konstantin Grcic est un designer aimant les défis quels que soient les contraintes techniques ou le temps nécessaires au déploiement du projet. Pour sa nouvelle série de mobilier Man Machine du nom d’un album du groupe mythique Kraftwerk sorti en 1978, il a souhaité travailler exclusivement le verre, un matériau commun et pourtant peu présent dans le champ du design contemporain. Peu d’exemples sont entrés dans l’histoire de la discipline si ce n’est la Glass Chair de Shiro Kuramata (1976) et quelques créations de Fontana Arte. Gageons que Man Machine en constituera l’un des chapitres marquants tant cette collection ne ressemble à rien d’autre tout en imposant la force de sa justesse.
En collaborant avec un atelier établi à Francfort depuis 1829, Konstantin Grcic a mis au point un ensemble ingénieux de meubles en verre flotté identique à celui utilisé industriellement en architecture. Chacun d’entre eux, la table ronde, la bibliothèque, la chaise, la grande table, les coffres simple et double, la vitrine verticale, le bout de canapé s’actionne par un mécanisme élémentaire qui ne répond pas seulement à cette injonction du design contemporain d’être évolutif mais la performe réellement. Grâce à leurs pistons, charnières, manivelles et boutons ainsi qu’à l’emploi d’un silicone noir permettant la mobilité des plaques de verre tout en soulignant leur dessin, chaque pièce s’avère être dynamique et disponible aux mouvements et à la force mécanique de l’homme – rappelons ici le goût du designer pour l’univers automobile, déjà signifié dans sa collection Champions exposée à la Galerie kreo en 2011. Néanmoins, cette association de la transparence et du mécanique ne forme nullement un univers froid, distant et « électronique ». Bien que Man Machine relève résolument de l’approche « industrial design » qui signe la spécificité des créations de Konstantin Grcic, le verre – comme la musique électronique chez Kraftwerk – se charge ici de notations sensuelles et poreuses. Déjà, en 2008, en créant la chaise longue Karbon, le designer auscultait cette tension entre apparences et réalité, ici entre l’apesanteur d’un dessin et la solidité d’une structure.
Se jouant de relations entre l’extérieur et l’intérieur, l’apparence fragile et l’usage réel, les potentialités et l’aspect tautologique, la mécanique humaine et la puissance de l’air, la collection Man Machine, dénuée de tout artifice, semble également s’amuser des questionnements actuels du design, prolongeant ceux abordés par le mouvement américain Light & Space – notamment Larry Bell – dans les années 1960 ou que Jeff Koons mit en scène dans ses vitrines du début des années 1980. Une nouvelle fois, Konstantin Grcic repousse les frontières du territoire domestique en créant un ensemble radical entre esthétique hi-fi, fascination de la transparence et réflexion sur sa pratique.
– Clément Dirié
Né en 1965, Konstantin Grcic fonde Konstantin Grcic Industrial Design (KGID) à Munich en 1991. Il collabore avec la Galerie kreo depuis 2004. Il a reçu le Compas d’or pour sa lampe Mayday (Flos) en 2001 et sa chaise Myto (Plank) en 2011. Le Vitra Design Museum lui consacre une exposition rétrospective, Panorama, de mars à septembre 2014 et qui se poursuivra au musée Z33 en Belgique de février à mars 2015.