Si les années 1960 doivent l’un des plus beaux films du cinéma mondial au génie de Federico Fellini, à la plastique d’Anita Ekberg, au charme de Marcello Mastroianni et à la splendeur de Rome, c’est grâce à l’oeil d’Otello Martelli, chef-opérateur de La Dolce Vita – ce rêve éveillé où dialoguent ombres, lumières et chiaroscuro...
Si les années 1960 doivent l’un des plus beaux films du cinéma mondial au génie de Federico Fellini, à la plastique d’Anita Ekberg, au charme de Marcello Mastroianni et à la splendeur de Rome, c’est grâce à l’oeil d’Otello Martelli, chef-opérateur de La Dolce Vita – ce rêve éveillé où dialoguent ombres, lumières et chiaroscuro. Le chef-opérateur, responsable de la caméra, des éclairages, voire des cadrages : un artisan de la lumière dans ses implications techniques et esthétiques. Collaborant avec Robert Altman, Steven Spielberg et Brian de Palma, Vilmos Zsigmond expliquait récemment : « Au début, il y a la lumière, puis le cadre, puis les acteurs, puis l’histoire… » (Cahiers du cinéma, n°702, été 2014). Une pensée que les designers réunis dans cette exposition-événement ont placé au coeur de leur réflexion sur l’objet, l’usage et l’habitat.
L’année de La Dolce Vita (1960), ces designers sont en pleine possession de leurs moyens, auteurs de certains des luminaires les plus aboutis de l’histoire du design. Ce sont les italiens Achille & Pier Giacomo Castiglioni, Joe Colombo, Gio Ponti, Gino Sarfatti, Vittoriano Vigano, les français Pierre Guariche, Robert Mathieu, Joseph-André Motte, Pierre Paulin et Alain Richard. 1960, soit trois années avant que l’artiste américain Dan Flavin ne mette au point ses premières oeuvres en fluo mais six ans après la création par Gino Sarfatti de ses mythiques plafonnier 3026 et lampadaire 1063, deux lampes magistrales bien qu’absolument a minima, conçues par le montage d’un simple tube fluorescent.
Une vie dédiée à la lumière, c’est ce que partagent les designers exposés ici – chef-opérateurs de nos intérieurs et de nos quotidiens –, grâce à la passion que Didier Kzrentowski nourrit pour le design depuis plus de trente ans. Évidemment, Gino Sarfatti et Arteluce, la maison qu’il dirigea de 1945 à 1973, en sont les plus emblématiques exemples. Ayant consacré sa vie à concevoir et produire des lampes, à comprendre comment articuler l’ampoule, son support et l’espace, Gino Sarfatti et ses créations constituent le coeur de cette sélection de plus de 120 lampes (plafonniers, suspensions, appliques, lampadaires, lampes à poser et de bureau).
Véritable panorama de l’histoire du luminaire, dans la lignée des expositions Lumières, je pense à vous (Centre Pompidou, Paris, 1985) et Gino Sarfatti. Il design della luce (Triennale Design Museum, Milan, 2012), cette exposition rend compte de ses évolutions depuis les recherches techniques et plastiques des années 1950 (usage de l’abat-jour coloré, arrivée du tube fluorescent, études mécaniques et de mobilité) jusqu’aux jeux formels des années 1960 (volonté narrative, influence de la Conquête de l’Espace) et aux expérimentations techniques des années 1970 (création de l’halogène, métamorphoses du plastique).
La Luce Vita provoque des rapprochements temporels entre créations françaises et italiennes (les jeux de contrepoids et de mobilité des lampadaires de Pierre Guariche [G23, 1951] et Vittoriano Vigano [1049, 1952], les solutions d’équilibre de Gino Sarfatti [1050/2, 1951] et de Robert Mathieu [1955-1956]). Elle réunit des familles de lampes autour de recherches sur l’abat-jour, l’ampoule ou le globe (notamment les ensembles 237, 238, 239, 2042 de Gino Sarfatti dont les diamètres des globes vont en s’augmentant). Elle se prolonge par une sélection de pièces contemporaines dans les vitrines de la galerie et par la parution chez l’éditeur JRP|Ringier de The Complete Designers’ Light II, un ouvrage édité par Clémence & Didier Kzrentowski réunissant plus de 650 lampes des années 1940 aux années 2010 (ISBN : 978-3-03764-356-3).
Conçue comme un paysage en volumes de hauteurs différentes, une grotte lumineuse où dialoguent stalactites et stalagmites, cette exposition célèbre le goût de l’expérimentation, l’inventivité formelle et technique et la réussite fonctionnelle de cette dizaine de designers qui créèrent l’une des plus belles pages du design du XXe siècle.
Credit photo : © Peter Hepplewhite – Courtesy Galerie kreo